La
signature des accords EVIN, mettant fin au grand mouvement de
l'automne 88, n'a pas résolu le mécontentement et la grogne dans
les hôpitaux et la grève s'installe dans les hôpitaux, en septembre
1991, pendant 7 semaines. Parallèlement, des professions qui jusqu'alors
avaient été peu actives dans les mobilisations, se lancent dans
des grèves dures et prolongées, organisées par des collectifs
de syndiqués et de non syndiqués : les personnels administratifs
de l'Assistance publique (AP) de Paris de juin à septembre 1990
; les assistantes sociales de mai 1991 à janvier 1992.
Personnel
administratif : une grève inédite
La discussion au Conseil supérieur de la Fonction publique hospitalière
en avril 1990 du projet de décret concernant le statut des personnels
administratif, en application des accords DURAFOUR, est le point
de départ de la mobilisation. Tout a commencé à l'hôpital Robert
DEBRÉ sous l'implusion du CRC et s'est élargi dès juin
à tous les établissements de l'AP avec constitution d'un «
Collectif PA ». Après l'échec en septembre d'un élargissement
national du mouvement et 4 mois de grève pour certains, le personnel
administratif a repris le boulot déçu de ne pas avoir gagné sur
le statut mais pas écoeuré pour autant. Dans « Offensive
Syndicale » de novembre 1990, Jean-Marie SALA, militant
CRC et un des animateurs du « Collectif PA » tirait
le bilan de cette grève.
.../... « J'ai d'abord été étonné par l'extension rapide
de la grève de l'AP et son non développement dans les autres hôpitaux
car pas plus que ceux du régime général, les administratifs de
l'AP n'avaient fait grève auparavant. Le rapport de force a été
très fort à l'AP, tous les établissements ont été touchés et des
millions de recettes sont définitivement perdus. Le profond malaise
de professions qui étaient traditionnellement soumises aux directions,
laissera des traces. Cette disponibilité spontanée à la grève
de la part de personnels jeunes, de femmes (à plus de 90 %) m'a
énormément surpris. Le premier enseignement que j'en tire, c'est
que la crise d'identité professionnelle atteint toutes les professions.
La contradiction entre un discours gouvernemental sur la revalorisation
des fonctionnaires et des actes qui vont à l'opposé, devient limpide
aux yeux de tous. La grève n'est nullement considérée comme dépassée,
mais elle est préconisée de plus en plus parmi les salariés qui
n'ont aucune expérience syndicale.
Malheureusement, le décalage entre les aspirations de ces salariés
et les pratiques syndicales CGT et FO essentiellement (majoritaires
dans le PA) m'a paru insurmontable et n'a pu l'être complétement
durant le conflit. La pratique du double langage : extension de
la grève devant les salariés, blocage dans les structures syndicales
; le refus de jouer la démocratie totale et de faire confiance
aux assemblées de grévistes ; les fausses convergences en utilisant
en réalité une catégorie contre l'autre (en l'occurence le personnel
ouvrier). Ces pratiques ont empêché l'émergence d'animatrices
non syndiquées à la direction de cette grève ce qui l'a affaiblie
considérablement. Loin d'ouvrir des perspectives de renouveau
syndical, ces pratiques ont encore davantage déconsidéré les syndicats.
Et dans ce genre d'histoire, la tendance est grande de rejeter
en bloc les syndicats, surtout que le CRC n'avait pas les moyens
dans tous les hôpitaux de l'AP d'affirmer et de démontrer une
image différente. Par ailleurs, d'avoir pendant le conflit pu
rencontrer des centaines de collègues administratifs dans de nombreux
hôpitaux différents, débattre des revendications et de la manières
dont elles étaient discutées, m'aura beaucoup appris sur la capacité
qu'ont les salariés à agir aujourd'hui de manière syndicale, tout
en refusant un certain stéréotype syndical. Quelle force potentielle
pour un autre syndicalisme ! Et je dois dire que je sors de cette
grève avec encore plus d'énergie pour construire un syndicat qui
intègre ces potentialités. ».../...
Note: (1) Accord sur la rénovation de la grille des classifications
et des rémunérations des 3 fontions publiques signé le 1er février
1990.
Le
mouvement des assistantes de service social
Construite dans la durée (2 ans de préparation et de travail collectif),
cette mobilisation est la première lutte des assistantes sociales.
Cette profession la plus ancienne (1932) et la plus codifiée du
secteur social (en particulier sur l'aspect déontologique), a
subi des transformations importantes en lien avec le développement
du travail féminin, de la protection sociale et de la société
en général.
Dans ce secteur très
féminisé (femmes = 96,2 % - hommes = 3,8 %), ce sont les jeunes
qui, en se réappropriant et en transformant le mot d'ordre des
infirmières : « ni bonnes, ni fées », marquent la
rupture entre l'image traditionnelle de l'assistante sociale,
et les professionnelles d'aujourd'hui.
A l'origine de ce mouvement,
un décret de juillet 1989 homologuant le diplôme des AS
au niveau III (Bac + 2). Une première manifestation le 22 mars
1990, de 5 000 assistantes sociales à l'appel d'un « Comité
national d'Action », cartel d'organisations professionnelles
et syndicales constitué d'en haut, revendiquant le Niveau II (bac
+ 3). Dès cette date, la Fédération CRC a pris la mesure de ce
qui pouvait se passer et a posé le problème du dépassement de
la revendication de l'homologation et de la nécessité de construire
des collectifs unitaires syndiqués et non-syndiqués face à l'absence
de perspectives proposée par le « Comité national d'Action
».
La « CONCASS » (Coordination Nationale des
Collectifs d'Assistants de Service Social) est constituée en septembre
1990, et met en place un calendrier de réunions et d'actions.
Le mouvement mettra un an à se structurer et la grève reconductible
démarre en Île-de-FRANCE le 16 septembre 1991. A partir
de là les actions et manifestations nationales se succèdent, et
87 collectifs départementaux participent régulièrement aux assemblées
générales nationales. Le 5 décembre 1991, pendant que les AS occupent
le Conseil d'État, la CFDT, la CFTC, la FEN signent le
« Plan d'Action » proposé par le Gouvernement et rejeté
massivement par le mouvement.
Chez les assistantes
sociales, c'est la déception : « Il y avait des gens
qui étaient en lutte, qui étaient porteurs d'un certain nombre
de revendications et ce sont d'autres qui se sont assis à une
table ! » (Marie, non syndiquée, polyvalente de secteur
à AUBERVILLIERS.)
Forte de son expérience antérieure, la Fédération CRC a pris une
place importante dans cette mobilisation sans crainte du catégoriel
ou du coporatisme. Et même si dès le début, le CRC a posé la nécessité
de la construction d'une mobilisation de tout le secteur social,
la priorité a été de la construire là où elle était posée, sinon
le risque était grand que le mouvement se divise et retombe. Des
convergences sont apparues avec les personnels de la territoriale,
en lutte à la même période. Mais si l'information a circulé, des
solidarités se sont exprimées, la jonction concrète entre ces
différents mouvements n'a pu se faire. Et les assistantes sociales
isolées sont obtenu peu de choses.
Pour autant, et l'avenir
l'a montré, ce mouvement a formé toute une génération de professionnelles
qui dans les luttes suivantes, et notamment celles conte le plan
JUPPÉ, se sont retrouvées spontanément aux côtés de leurs
collègues éducateurs dans les collectifs de travailleurs sociaux.
Hopitaux
: deuxième vague
Sur fond de sous-effectif, de pénurie de recrutement, de personnels
qualifiés, mais aussi de mécontentements accumulés ce mouvement
est la suite logique de celui de 88 et des mobilisations des personnels
administratifs et des infirmières spécialisées. Une grève intercatégorielle
à l'hôpital TENON permet la mise en place, sous l'implusion du
CRC, d'un Collectif inter-hôpitaux réunissant une quinzaine d'hôpitaux
qui appelle à une assemblée générale à la rentrée. Parallèlement,
le syndicat Coordination Nationale infirmière lance une initiative
pour le 26 septembre.
Le gouvernement qui souhaite désamorcer le conflit très vite,
donne rendez-vous aux organisations syndicales représentatives
ou non pour le 3 octobre. Paradoxalement, il donne ainsi une perspective
au mouvement. La grève reconductible s'élargit vite à partir de
cette date. Le 17 octobre, la police charge avec des canons à
eaux et des gaz lacrymogènes blessant trois infirmières : une
répression démesurée qui relance l'action.
Le CRC est alors exclu des négociations et la CFDT et consorts
signent les « accords DURIEUX » (3 protocoles) qui
ne touchent pas aux grilles salariales, mais accordent primes
et NBI (en particulier pour les cadres et les spécialisées); revalorisent
la prime de dimanche ; accordent les 35 heures au personnel de
nuit... Accords peu satisfaisants mais qui cassent la dynamique
de mobilisation.
Ce mouvement et celui des assistantes sociales ont marqué un tournant
dans la place qu'occupe le CRC sur l'échiquier syndical. Il est
apparu aussi bien dans la presse que vis à vis des autres organisations
et du ministère, comme une composante qui a du poids. Du côté
des salariés, ces mobilisations ont permis de le faire connaître
plus largement et l'accueil intéressé des personnels par rapport
à ses prises de positions augure bien du climat de confiance qui
s'est établi. Pourtant, il se traduira par une syndicalisation
et un développement limité, lié au contexte général de la crise
du syndicalisme.
OFFENSIVE
SYNDICALE (Numéro spécial de décembre 1999)
Bulletin de la fédération National SUD-CRC
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