1989
Coordonner - Rassembler - Construire



        Le 9 mars 1989, la direction de la CFDT radie l'ensemble des syndicats santé-sociaux de la région parisienne. Devant cette décision unilatérale, les équipes syndicales réunies en congrès le 1er avril 1990, dans le but de préserver leur outil pour poursuivre tous ensemble leur action syndicale, maintiennent la nature juridique de leurs syndicats respectifs et transforme leur union professionnelle CRC (Comité Régional de Coordination, créé en 1968) en Fédération régionale CRC : « Coordonner - Rassembler - Construire ». Un an après, à la demande de collectifs militants des Landes et de Seine-Maritime, la Fédération CRC devient nationale. Nous donnons la parole à Anne SERMOT, secrétaire générale des CRC.

        A la veille de la scission, il fallait de solides convictions, le soutien de collectifs de travail expérimentés, pour supporter en tant qu'individu en première ligne, l'isolement et les attaques pernicieuses. Et c'est parce que nous avions en permanence le souci de vérifier que nos pratiques, nos analyses collaient avec ce qui se passait concrètement sur le terrain, que j'ai trouvé personnellement l'énergie de défendre nos positions dans les structures et plus particulièrement au Conseil Fédéral.

        Au Congrès Confédéral de Strasbourg, fin novembre 88, Edmond MAIRE, en personne a donné le feu vert dans son attaque contre les « moutons noirs ». Nous étions au clair sur les enjeux et l'issue des débats à venir. Nous étions de droit dans l'organisation, nous prenions toute notre place dans sa construction quoiqu'ils en disaient. Notre légitimité pouvait être bafouée, leur volonté de main mise sur la CFDT sans limite, mais lorsque nous avons fait le choix de mener jusqu'au bout la bataille démocratique, nous étions loin d'imaginer ce que nous allions subir collectivement jusqu'au Bureau National Confédéral des 8 et 9 mars 89 qui a décidé de radier de la CFDT les 12 syndicats santé sociaux de la Région parisienne.

        A partir de ce jour, se posait la question de notre devenir ; rejoindre une autre confédération ou construire notre propre outil syndical. Une seule idée nous a guidé, celle de maintenir unis nos collectifs militants et éviter tout éparpillement.

        Dès le 2 décembre, nous nous sommes vus manu militari privés de nos locaux régionaux. Par delà de la violence même de la situation que nous vivions (sommés au petit matin de rendre les clefs, autorisés à prendre nos affaires personnelles), il nous fallait très vite réagir. Nous avions envisagé, prévu... mais nous n'avions pas pensé qu'en l'espace de quelques minutes, nous nous retrouverions sans téléphone, sans adresse officielle, et surtout interdits de réserver des salles à Bourse du travail pour les mobilisations, en particulier celle des hôpitaux psychiatriques pour laquelle nous avions réservé une salle. Ils ont tout osé : les pires méthodes bureaucratiques, les réunions/tribunaux, les attaques personnelles, les retraits de mandats auprès de nos directions, les diffamations dans la presse, l'anéantissement de tous nos moyens et les menaces directes pour tous ceux qui nous soutiendraient. Parce que des milliers de salariés de la santé avaient pris leurs affaires en mains, parce les salarié(e)s du secteur continuaient les actions, parce que les témoignages et des actes concrets de solidarité nous soutenaient au jour le jour, parce que nous avons préservé un cadre de confrontation avec les militants d'autres secteurs professionnels, nous avons pu résister à la destruction de l'outil syndical que nous avions forgé, et en même temps, nous avons pu entamer la reconstruction de l'outil syndical de demain.

        Sans autres moyens que ceux dont nous disposions individuellement (téléphones, adresses, appartement d'une militante), ceux réduits à minima de nos syndicats et ceux mis à notre disposition ponctuellement par des structures amies pour nous réunir ou réunir les salariés du secteur. Il nous a fallut tout à la fois mener le débat dans nos structures, s'armer et armer nos structures pour faire face à la bataille juridique, condition de notre existence, faire face à nos propres patrons, et continuer à être présent sur les boîtes, dans l'action.


En 1976 au congrés d'ANNECY, E. MAIRE comparait la gauche syndicale à des « coucous ». A celui de STRASBOURG en 1988, il la qualifiait de « moutons noirs ». Pourtant, l'histoire des oppositions syndicales ressemble plus à celle du « vilain petit canard » qui en grandissant se transforme en un magnifique cygne. Espérons que les oppositions syndicales, en grandissant, seront les moteurs du renouveau syndical.


        La construction des CRC s'est faite pied à pied, avec pour la plupart d'entre nous une énergie relevant du défi, du besoin de relever la tête, même si nous disposions d'analyses collectives solides et de soutiens. Les galères ont été rude ; la plupart des syndicats ont perdu leurs droits syndicaux et ne disposent plus des informations venant du ministère ou des chambres patronales ; la nouvelle fédération est obligée de payer un permanent sur ses maigres ressources (les seules cotisations des adhérents). Les découragements ont été fréquents au regard des tâches et des embûches : asseoir notre existence juridique, nous faire connaître et reconnaître, resyndicaliser suite aux dégâts de la scission qui nous a fait perdre bon nombre d'adhérents partis dans la nature.

        Forts de notre expérience, nous ne faisions plus que l'essentiel de l'essentiel : être partout sur le terrain, confronter plus que jamais nos positions avec la pratique, ne pas brader nos acquis sur le débat démocratique, sur l'unité des salariés. Dans ce contexte, c'est sur le fil du rasoir que nous avons réussi à mener notre première campagne : les élections à la CNRACL « pour ne plus rester sans voix votez CRC » (voir ci-dessous).
 
 

19 octobre 1989
Première échéance électorale pour CRC

A peine sept mois après sa création, CRC peut mesurer son audience auprès des salariés des hôpitaux publics, sur l'ensemble du territoire, à l'occasion des élections de la caisse de retraite : la CNRACL. Le cadre n'est pas idéal : la CNRACL est commune aux fonctionnaires hospitaliers (651 000 électeurs) et des collectivités territoriales (654 000) : le sigle CRC n'est pas encore beaucoup connu dans les hôpitaux ; l'édition des professions de foi est à la charge des organisations qui présentent des listes. CRC n'a pas les moyens d'assumer le coût de l'impression et de l'envoi de son matériel de campagne à tous les agents actifs (CRC ne présente pas de liste « retraités »). Seuls, les électeurs hospitaliers de la région parisienne recevront la profession de foi CRC. Les bulletins de vote, eux, seront distribués à l'ensemble des « actifs ».

Malgré ces obstacles, 13 774 personnes votent pour CRC, soit 2,03 % des voix (3,55 % sur les hôpitaux). A cette étape, seul, le score CRC sur les hôpitaux d'Île-de-FRANCE permet d'apprécier son audience réelle au regard de ses implantations et l'impact de la scission. Avec 13,91 % des voix, CRC se retrouve dans le pelloton des « grandes » sans parvenir à dépasser la CFDT (16,07 %) qui elle-même reste derrière la CGT (38,69) et FO (19,01 %). Dommage que ce scrutin ne compte pas pour apprécier la représentativité et donner des droits syndicaux ! CRC devra encore attendre... 3 ans !


 

        Nous étions sûrs que nous avions un espace dans le champ social, encore fallait-il réunir les moyens pour le prouver. Un premier cap était franchi. Les camarades de SUD PTT en nous donnant la possibilité de disposer d'un local officiel, ont largement contribué à notre survie et au développement des CRC.



OFFENSIVE SYNDICALE (Numéro spécial de décembre 1999)
Bulletin de la fédération National SUD-CRC